Enquête sur Ramanujan : le génie qui parlait à Dieu avec les maths
Srinivasa Ramanujan. Cet Indien autodidacte, parti de rien, pond des formules révolutionnaires... en rêve. À Cambridge, il répète souvent : "Une équation n'a de sens que si elle exprime la réflexion de Dieu". Il accomplit ainsi, ado et sans mentor, ce que les plus grands esprits mathématiques du monde ont révélé laborieusement pendant des siècles. Le grand mathématicien John Littelwood dira de lui : « Ramanujan n'est rien moins qu'un miracle. Je n'avais jamais imaginé qu'on puisse atteindre un tel niveau de génie. Oubliez Jacobi. C'est à Newton qu'il faut le comparer. » L'un de ceux ayant fait le plus pour percer les secrets enfouis dans les nombres qui, comme l'affirmait Pythagore, « gouvernent l'Univers ». Ainsi, au commencement étaient les nombres, les équations, les lois, les théorèmes, ces merveilleuses formules des dieux, offertes par amour aux humains. Saint Augustin en a eu la révélation : « Les nombres sont la pensée de Dieu ». C'est dire que nous n'inventons pas ces formules. Nous nous contentons de les découvrir. Elles sont éternelles et baignent dans un royaume situé en dehors de l'Univers, « le Ciel Platonicien ». Ces formules étaient déjà Là, contrôlant l'hallucinante cascade de réactions survenant, à une allure folle, dans la fournaise du Big Bang, ce moment primordial où « Dieu a mis le feu aux équations ». Et, elles attendent patiemment, ces formules, que des esprits d'exception comme Ramanujan, inspirés, intuitionnés par les dieux, pressentent leur existence, puis les extirpent de l'Ailleurs, du Ciel Platonicien.
Cent ans après sa mort, ses formules magiques jouent un rôle fondamental dans la compréhension des trous noirs ou l'élaboration de la théorie des cordes, la théorie qui se veut ultime en ce qu'elle ambitionne d'unifier, en une théorie du Tout, la mécanique quantique de Planck (l'infiniment petit) et la relativité d'Einstein (l'infiniment grand). C'est grâce à sa compréhension des nombres qu'il nous est possible de sécuriser les transactions sur Internet. Et la liste de ses contributions ne cesse de s'allonger. « Ramanujan a été comparé à une supernova dont l'explosion a illuminé les moindres recoins des mathématiques » nous dit Micho Kaku, physicien théoricien. Parmi les centaines de théorèmes qu'il a découverts (!), beaucoup restent des mystères pour les mathématiciens d'aujourd'hui. Ramanujan, c'est l'intelligence suprême, mise au service de l'ambition suprême. C'est une courte vie consacrée à un seul but : trouver « les » principes révolutionnaires, « les » formules fondamentales, dévoiler les secrets contenus dans les nombres. Bref, comprendre, ne serait-ce que dans une infime mesure, la pensée de Dieu.
Ce mathématicien de génie n'a jamais appris à calculer, mais il calculait comme il respirait, sans effort, comme un aigle planant dans les airs. « Dans la simplicité d'une suite de nombres, Ramanujan était capable de détecter des propriétés incroyables qui ont échappé aux plus grands mathématiciens » note James Roy Newman. Tout comme Mozart qui entendait une symphonie entière dans sa tête, il dansait avec les nombres à l'infini. Chaque nombre était un ami intime de Ramanujan tel notre familier nombre π (π=3,14 ……). Il est possible en effet, à l'aide d'ordinateurs, de calculer très rapidement ce nombre avec ses milliers, millions, milliards, milliards de milliards etc de décimales après la virgule, grâce à la mystérieuse formule de Ramanujan, une formule qui dépasse l'entendement, comme venue de l'Ailleurs.

En 2014, vous avez aimé Une merveilleuse histoire du temps, qui voyait Eddie Redmayne incarner le légendaire Stephen Hawking, adoré The Imitation Game, dans lequel Benedict Cumberbatch revêtait les traits d'Alan Turing dans son combat contre la machine à coder Enigma ; en 2016, vous vous passionnerez pour The Man Who Knew Infinity, le dernier-né des biopics de génies, sorti le 29 avril dans les cinémas anglais. Car si Turing et Hawking ont sans aucun doute mérité leurs statues de marbre dans le Hall of Fame scientifique au fil de leurs découvertes, le sujet de ce film, Srinivasa Ramanujan, appartient à une toute autre catégorie. Celle du génie pur, incompréhensible, unique, vertigineux. Ramanujan, qui vécut à l'aube du XXe siècle, est le Rimbaud des mathématiques : autodidacte, échappant à toute catégorisation, il est encore aujourd'hui considéré par ses pairs comme un merveilleux et éphémère accident, qui interroge profondément sur le rapport entre science et métaphysique et ébranle toutes les certitudes que l'on peut avoir sur les vertus de l'éducation moderne.
Car Ramanujan, joué par Dev Patel (Slumdog Millionnaire), n'aurait jamais dû apparaître sur la frise chronologique des mathématiques modernes. Il naît en 1887 à Erode, dans le Tamil Nadu indien, d'une famille de brahmanes pauvres. Pas vraiment le chemin le plus court vers Cambridge. Après avoir suivi (et excellé dans) les cours de l'école primaire locale et développé un intérêt pour les nombres, il se procure à 11 ans son premier manuel, La Trigonométrie plane de S.L. Loney, qu'il épuise en deux ans. A 16 ans, un ami lui prête l'ouvrage qui enflammera définitivement son étincelle de génie : Synopsis of Elementary Results in Pure Mathematics de S. Carr. Le livre contient pas loin de 6000 théorèmes sans démonstration ; Ramanujan les résout et se plonge dans la foulée dans les nombres de Bernoulli, une suite de nombres rationnels, et la constante d'Euler-Mascheroni, qu'il explore jusqu'à la quinzième décimale. Il a alors 17 ans, est capable de calculer de tête des listes décimales de Pi et ses camarades d'école avouent qu'ils « le comprennent rarement ». Il entre ensuite, en 1904, au Government College de Kumbakonam grâce à une bourse d'études, qu'il perd l'année suivante faute d'avoir bossé autre chose que les maths. En 1909, Ramanujan est un génie précaire, qui va de boulot en boulot pour survivre.
A 22 ans, à force de persuasion, il parvient enfin à se faire une place dans la société des mathématiciens indiens et s'installe à Madras, où il est engagé comme agent comptable pour la compagnie portuaire – un ordinateur humain, en somme. Parallèlement, il commence à publier des problèmes dans des journaux mathématiques nationaux – problèmes qu'il finit par résoudre lui-même, faute d'interlocuteur à la hauteur. En 1913, alors solidement installé à Madras, Ramanujan envoie ses travaux à d'éminents mathématiciens anglais. Si deux d'entre eux jugent ses travaux aussi intéressants que farfelus, par manque de rigueur dans ses démonstrations, l'un deux finit par prendre ses théorèmes au sérieux. Son nom : Geoffrey Harold Hardy, professeur au Trinity College de Cambridge.
Lorsque Hardy parcourt les papiers du jeune Indien, onze pages mêlant une écriture naïve à des pages d'équations, il a du mal à croire ce qu'il lit. Celui qui se présente comme un jeune agent comptable indien quasi dénué d'éducation supérieure prétend avoir résolu le problème de la distribution des nombres premiers, avec une formule toute simple : leur addition équivaut à -1/12. Parmi les résultats de Ramanujan, certains sont déjà prouvés et étudiés à l'université britannique; d'autres formules sont connues, mais sont étrangement déformées; d'autres, enfin, sont aussi inconnues qu'exotiques. Problème : aucun des théorèmes n'est prouvé. Avec l'aide d'un collègue, Hardy se penche sur les résultats les plus accessibles de l'Indien et découvre qu'ils sont en grande partie justes. Quant à son opinion sur les autres, difficile de faire à la fois plus scientifique et plus britannique : « ils doivent être vrais, car s'ils ne l'étaient pas, personne n'aurait eu assez d'imagination pour les inventer. » Pour Hardy et son collègue John Littlewood, plus aucun doute, la Poste vient de leur livrer un nouveau Newton. Et il doit absolument venir en Angleterre.
Le 8 février 1913, Hardy écrit donc au jeune comptable pour lui faire part de son intérêt et lui demander de le rejoindre au Trinity College. Ce à quoi Ramanujan répond, en substance, qu'il est très flatté, mais qu'il est « un homme à moitié affamé » et que « pour préserver (son) cerveau, (il) veut avant tout de la nourriture ». Il explique ensuite à Hardy, qui lui réclame des preuves mathématiques de ses résultats, que s'il lui explique, Hardy « lui indiquera l'asile psychiatrique comme destination », avant de lui assurer qu'une seule lettre ne permettrait pas au professeur anglais de comprendre ses méthodes. Enfin, il refuse de venir en Angleterre, entre autres choses car sa religion (et sa mère) le lui interdisent. Néanmoins, en 1914, après avoir obtenu une bourse de l'université de Madras et l'accord de sa mère (qui aurait vu, en rêve, la déesse familiale Namagiri lui ordonner de laisser partir son fils), il embarque enfin pour l'Angleterre, pile à l'heure pour la Première guerre mondiale. Il y restera cinq ans, le temps d'être élu Fellow de la Royal Society et du Trinity College, de révolutionner l'étude des séries infinies, de proposer une nouvelle approche de Pi et de laisser quelques théorèmes à son nom avant que la combinaison d'un strict végétarianisme, d'un climat humide et d'une époque de privations ne le fauche en 1920, à 33 ans, juste après être revenu en Inde.
A Cambridge, au contact de G.H. Hardy, Ramanujan va enfin trouver à qui parler mathématiques, bien que leurs deux approches s'opposent radicalement. Hardy, homme de science britannique, érudit et cartésien jusqu'au bout des ongles, n'est que raisonnement et démonstration. Ramanujan, mathématicien indien autodidacte, hindou orthodoxe, raisonne en dévot : les problèmes existent, il trouve les solutions, parfois en rêve, le plus souvent par intuition presque épiphanique. A Cambridge, il répète souvent qu'« une équation n'a de sens que si elle exprime la réflexion de Dieu ». Et l'Indien, ayant découvert les mathématiques grâce à un livre intégralement rempli de formules sans démonstration, ne s'embarrasse pas de la méthode traditionnelle, se contentant de fournir à Hardy des équations terminées avec la certitude qu'elles sont justes. Mais la méthodologie unique du mathématicien mystique ne doit en aucun cas être confondue avec de la paresse ou, pire, un manque de connaissances. Si les mathématiques de Ramanujan apparaissent guidées par l'arbitraire au commun des mortels, c'est uniquement car elles sont construites sur une connaissance empirique des nombres : doté d'une mémoire et d'une capacité de calcul le rapprochant plus de l'ordinateur que de l'être humain, Ramanujan partait en expédition au milieu des nombres et en revenait les bras chargés de conjectures. Le problème, c'est que les autres chercheurs n'étaient jamais du voyage. Durant son séjour anglais, sous le tutorat patient d'Hardy, il tentera pourtant de faire rentrer son génie dans les cases du système universitaire, condition sine qua non pour publier ses résultats et gagner le respect de ses pairs.
Malgré cette opposition de style, la collaboration entre les deux hommes fera des merveilles pour la théorie des nombres. En cinq ans, Hardy et Ramanujan défricheront comme personne le calcul de Pi et le domaine des intégrales, donneront leur nom à une constante et baptiseront les nombres Taxicab (exprimés comme la somme de deux cubes de plusieurs manières différentes), un nom donné après le numéro du taxi (1729, devenu le « nombre Hardy-Ramanujan ») emprunté par Hardy pour rendre visite à son collègue indien à l'hôpital. Et Ramanujan, avant de mourir, laissera un cadeau inestimable à ses homologues futurs : quatre carnets manuscrits, remplis d'équations non prouvées. Publiés dans leur version définitive dans les années 90 après la découverte d'un cinquième carnet « perdu », ils contiennent plus de 3000 formules encore étudiées aujourd'hui par les mathématiciens du monde entier. Et malgré l'aide d'algorithmes de calcul plus puissants que ne le sera jamais aucun cerveau humain, certaines de ses équations restent encore non élucidées. Car les mathématiques ont beau être un langage universel, Ramanujan en avait inventé son propre dialecte. Celui du génie.
A noter que l'intuition de Ramanujan n'avait pas d'égal. Cette vidéo l'illustre avec un problème de maisons numérotées, et la solution surprenante que Ramanujan inventa en quelques secondes pour le résoudre. Étrangement, Ramanujan découvrit que le plus court chemin vers une solution finie passe par des contrées infinies... Un "génie divin". D'ailleurs, Ramanujan signifie "le frère de Rama", une divinité hindoue. Mais ce n'est pas n'importe quel enfant. Avant d'atteindre la puberté, Ramanujan est devenu un prodige des mathématiques presque totalement par hasard. À l'âge de 11 ans, il avait épuisé et dépassé les connaissances de deux étudiants de collège qui se trouvaient être en pension chez sa famille. À 13 ans, il a maîtrisé la trigonométrie avancée sans professeur, seul, à partir d'un livre que quelqu'un lui avait prêté, et a commencé à créer ses propres théorèmes. À 16 ans, il tombe par hasard sur un exemplaire de l'ouvrage fondamental de G.S. Carrl A Synopsis of Elementary Results in Pure and Applied Mathematics, et commence à travailler sur ses 5000 théorèmes. L'année suivante, Ramanujan a développé et étudié de manière indépendante les nombres de Bernoulli et a calculé la constante d'Euler-Mascheroni jusqu'à quinze décimales.
En plus d'Einstein, Mendeleïev et Niels Bohr, de nombreux scientifiques ont également puisé leurs inspirations dans leurs rêves. Le mathématicien de génie Srinivasa Ramanujan est né dans une famille pauvre au sud de l'Inde en 1887. La légende raconte qu'une déesse apparue dans son rêve lui a montré des formules mathématiques. Les Indiens de l'époque ne comprenaient pas ces formules, mais Hardy, un mathématicien de l'Université de Cambridge, fut abasourdi lorsqu'il reçut la lettre de Ramanujan en 1913. Le mathématicien indo-américain Krishnaswami Alladi a mentionné cette histoire dans un article publié dans le « Bulletin of American Mathematical Society ».
Le Dr Otto Loewi, considéré comme le « père des neurosciences », avait une théorie selon laquelle il pourrait y avoir une transmission chimique de l'impulsion nerveuse. Mais il ne voyait pas comment la prouver. En 1920, il fait deux rêves au cours de deux nuits consécutives pendant lesquels le projet d'une expérience pour prouver sa théorie lui apparaît, selon la BBC. Cela l'a amené sur un parcours qui lui a valu le prix Nobel de biologie et de médecine en 1936.
Il y a aussi un rêve magique sur les fossiles. Une fois le biologiste et géologue suisse-américain Louis Agassiz étudiait un fossile de poisson avec seulement une partie de sa structure apparente. Agassiz ne pouvait pas voir ses caractéristiques, ni imaginer la structure complète du poisson. Il hésitait à tailler la pierre, car cela risquait de causer des dommages irréversibles au spécimen. Plus tard et ce pendant trois nuits consécutives, il vit la forme complète de ce poisson dans son rêve. Sa femme Elizabeth a écrit dans ses mémoires : « Les deux premières nuits, il ne se souvenait pas de l'apparence du poisson quand il s'est réveillé. La troisième nuit, il a préparé du papier et un stylo afin de pouvoir immédiatement transcrire ce qu'il avait vu dans son rêve.»L'épouse d'Agassiz a poursuivi en écrivant : « Le lendemain, il s'est précipité au jardin botanique et, guidé par ses croquis dessinés à la main, il a réussi à tailler la pierre en surface, révélant le reste du poisson. Tous les poissons fossiles ainsi mis à jour étaient tout à fait conformes à ses rêves.»