Sainte Marguerite-Marie Alacoque : la révélation du Sacré-Coeur
Le 27 décembre 1673, Marguerite-Marie a une vision du Christ. Il lui montre sa poitrine sur laquelle repose un cœur brûlant, entouré d'une couronne d'épine, et surmonté d'une croix. À chaque battement, une douce et extraordinaire chaleur rayonne : c'est l'amour infini de Dieu pour les hommes, les justes comme les pécheurs, les sages comme les fous.
Paray-le-Monial, 1674. En cette matinée de juin, alors que le soleil inonde le couvent de la Visitation de lumière, Marguerite-Marie se rend d'abord à la chapelle pour la prière du matin avec ses sœurs. Elle rend grâce pour sa bonne nuit de sommeil, pour le beau temps et pour sa bonne santé. Cela fait presqu'un an maintenant qu'un ange du seigneur sous la forme d'un petit enfant est venu la guérir d'une terrible extinction de voix. Comment ne peut-elle rendre grâce à chaque instant pour les bienfaits que Dieu lui accorde depuis son enfance ? Mais elle prend soin de ne pas trop se laisser aller à la prière, de peur de gêner le temps de paix de ses sœurs.
Après un maigre petit déjeuner, elle se rend à l'étable pour la nettoyer et faire sortir les ânes. Pour la plupart des sœurs, ramasser le crottin et soigner les bêtes sont les tâches les plus ingrates du couvent. Pour Marguerite-Marie, c'est tout le contraire. Cela lui donne quelques précieuses heures de solitude pour continuer de prier à voix haute sans se soucier de déranger qui que ce soit.
Une fois l'étable propre et les animaux pansés et nourris, Marguerite-Marie relâche les ânes et se dirige vers son lieu de prière favori. Prenant place sous le bosquet de noisetier qui longe l'enclos, elle ferme les yeux et lâche un long soupir las. Si seulement elle pouvait toujours prier ainsi, seule face à Dieu...
- Marguerite, appelle alors une voix douce qu'elle connaît bien à présent. Marguerite-Marie.
Elle fait volte-face et se retrouve nez-à-nez avec le Christ. Mais son sourire s'évanouit bien vite. Les vêtements de Jésus sont miteux et déchirés. Il porte sur la tête sa couronne d'épine, ses blessures saignent et des larmes coulent sur ses joues. Le spectacle est si triste qu'elle se met à pleurer elle aussi.
- Seigneur, dit-elle se jetant à ses pieds, qu'est-ce qui vous cause tant de peine?
- Je suis venu pour sauver les hommes, mais ils se font sourds à mon appel et aveugles à mon visage.
Le Christ lui montre alors sa poitrine sur laquelle repose un cœur brûlant entouré d'une couronne d'épine, et surmonté d'une croix. À chaque battement, une douce chaleur s'émane de lui et Marguerite-Maire pleure de plus belle. Cette chaleur, incomparable à celle du soleil, c'est l'amour infini de Dieu pour les hommes, les justes comme les pécheurs, les sages comme les fous.
- Voici ce cœur qui a tant aimé les hommes jusqu'à s'épuiser et se consumer pour leur témoigner son amour, dit Jésus. Et pour reconnaissance, je ne reçois de la plupart que l'ingratitude.
Elle ne répond rien et baisse les yeux de honte. Certes, elle n'oublie jamais le Seigneur, puisque c'est lui qui la comble de grâce depuis toujours, mais elle oublie les hommes. Son devoir n'est pas seulement de prier mais de montrer aux pécheurs et aux ignorants la présence divine et cet amour infini de Dieu.
- Marguerite-Marie, continue le Christ devant le silence de son élue, toi qui as vu mon cœur et qui sais que jamais mon amour pour les hommes ne s'éteindra, je te confie cette mission : rappelle à la France, fille aînée de mon Église, que ce cœur l'attend. Aujourd'hui et jusqu'au jugement dernier.
- Seigneur, vous savez que je suis votre humble servante. Mais les hommes écouteront-ils une petite religieuse ignorante ?
- Raconte ce que je t'ai montré, fait part de mon message aux oreilles attentives et aux esprits aiguisés, et l'on t'écoutera.
L'angoisse se saisit de Marguerite-Marie. Depuis toujours elle reste discrète vis-à-vis de ses échanges avec le Très-Haut. Cette mission lui demande de sacrifier le secret de ce lien privilégié. Elle sait déjà qu'il ne sera pas facile de convaincre les hommes. Mais malgré cette peur, elle lève les yeux et ouvre les mains.
- Puisque c'est votre volonté, je porterai le message de votre Sacré-Cœur.
Enfin, le Christ sourit et lui impose les mains.
En 1674, Marguerite-Marie reçoit une deuxième vision du Sacré-Cœur, devant le Saint-Sacrement exposé un premier vendredi du mois. Durant cette vision, elle aperçoit à nouveau le Sacré-Cœur et reçoit une demande de la part de Jésus de réparer les ingratitudes qui sont faites à son cœur et au Saint-Sacrement. Cette demande donne naissance à la dévotion des neuf premiers vendredis du mois (le premier vendredi du mois, neuf mois d'affilée) qui a son origine dans la « grande promesse » de Jésus que Marguerite-Marie relate dans ses écrits :
Je te promets, dans l'excessive miséricorde de mon Cœur, que son amour tout-puissant accordera à tous ceux qui communieront neuf premiers vendredis des mois, de suite, la grâce de la pénitence finale, ne mourront point dans ma disgrâce et sans recevoir leurs sacrements, mon divin Cœur se rendant leur asile assuré au dernier moment.
À une époque où la communion sacramentelle des fidèles était très rare, la pratique des neuf premiers vendredis du mois contribua d'une manière significative à la reprise de la pratique plus fréquente des sacrements de la pénitence et de l'eucharistie. Par l'insertion intégrale de cette promesse dans la bulle de canonisation de Marguerite-Marie, le pape Benoît XV a encouragé la pratique des communions réparatrices des neuf premiers vendredis du mois.
Cette vision a également contribué à l'institution de l'Heure Sainte, que Marguerite-Marie pratique étendue par terre, le visage contre le sol entre onze heures du soir et minuit, le premier jeudi de chaque mois, afin de partager la tristesse mortelle qu'a supportée le Christ quand il fut abandonné à son agonie par ses apôtres à Gethsémani, puis à recevoir le lendemain la communion. Elle relate la demande de cette pratique dans ses écrits personnels :
...toutes les nuits du jeudi au vendredi, je te ferai participer à cette mortelle tristesse que j'ai bien voulu sentir au jardin des Olives ; laquelle tristesse te réduira, sans que tu la puisses comprendre, à une espèce d'agonie plus rude à supporter que la mort. Et pour m'accompagner dans cette humble prière que je présentai alors à mon Père parmi toutes mes angoisses, tu te lèveras entre onze heures et minuit, pour te prosterner pendant une heure avec moi, la face contre terre, tant pour apaiser la divine colère, en demandant miséricorde pour les pécheurs, que pour adoucir en quelque façon l'amertume que je sentais de l'abandon de mes apôtres, qui m'obligea à leur reprocher qu'ils n'avaient pu veiller une heure avec moi, et pendant cette heure tu feras ce que je t'enseignerai.
La plus célèbre des visions qu'Alacoque rapporte est une vision datant de juin 1675, au cours de laquelle Jésus lui aurait à nouveau montré son cœur :
Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu'il n'a rien épargné jusqu'à s'épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu'ils ont pour moi dans ce Sacrement d'amour.
Le Christ lui aurait alors également confié désirer que soit célébrée une fête en l'honneur de son Cœur le vendredi qui suit l'octave de la fête de son Corps :
C'est pour cela que je te demande que le premier vendredi d'après l'octave du saint Sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon Cœur, en communiant ce jour-là et en lui faisant réparation d'honneur par une amende honorable, pour réparer les indignités qu'il a reçues pendant le temps qu'il a été exposé sur les autels.
Cette vision a mené à l'institution de la fête du Sacré-Cœur, fête promue au rang de solennité dans le calendrier liturgique catholique plusieurs siècles plus tard. Elle est aujourd'hui fêtée huit jours après la Fête-Dieu, respectant ainsi la demande initiale de Jésus-Christ. C'est également à la suite de cette vision que le jésuite Claude La Colombière se consacre personnellement au Sacré-Cœur, faisant de lui la première personne à s'y consacrer après Marguerite-Marie. Cette dernière écrit plusieurs actes de consécrations qu'elle distribue progressivement et qui font partie intégrante du culte du Sacré-Cœur.
Le Christ aurait par ailleurs appelé Marguerite-Marie « disciple bien-aimée du Cœur Sacré » et héritière de tous ses trésors. Au cours de sa vie, Marguerite-Marie entreprend de faire connaître le message que Jésus lui aurait adressé avec l'aide de Claude La Colombière, son « vrai et parfait ami ». C'est d'ailleurs ce dernier qui ordonne à Marguerite-Marie d'écrire ses expériences mystiques dans un journal personnel.
Dès 1685, Marguerite-Marie devient maitresse des novices de son monastère et profite de sa fonction pour promouvoir cette nouvelle dévotion au Sacré-Cœur chez les jeunes novices.
L'année suivante, en 1686, le premier autel dédié au Cœur de Jésus est construit au monastère et la fête du Sacré-Cœur de Jésus est célébrée pour la première fois à Paray-le-Monial. En 1687, la première chapelle commémorant les visions de Marguerite-Marie est construite dans le jardin du monastère.
Selon elle, Jésus lui confie une autre mission : le 17 juin 1689, il demande que le roi de France Louis XIV effectue la « consécration de la France à son Sacré-Cœur et sa représentation sur les étendards du royaume. » Cette demande reste alors lettre morte.
D'après Marguerite-Marie, des promesses furent faites par Jésus-Christ en faveur des personnes dévouées à son Sacré-Cœur, disséminées dans ses lettres et dans sa Vie écrite par elle-même. On retrouve généralement ces promesses sous la forme de douze promesses populaires au sujet de la dévotion au Sacré-Cœur, qui ne sont pas formulées telles quelles dans les écrits et les lettres d'Alacoque, mais qui ont été reproduites à l'aide de formules abrégées plus ou moins équivalentes :
1. Je leur donnerai toutes les grâces nécessaires à leur état.
2. Je mettrai la paix dans leurs familles.
3. Je les consolerai dans toutes leurs peines.
4. Je serai leur refuge assuré pendant la vie et surtout à leur mort.
5. Je répandrai d'abondantes bénédictions sur toutes leurs entreprises.
6. Les pécheurs trouveront dans mon Cœur la source de l'océan infini de la miséricorde.
7. Les âmes tièdes deviendront ferventes.
8. Les âmes ferventes s'élèveront rapidement à une grande perfection.
9. Je bénirai moi-même les maisons où l'image de mon Sacré-Cœur sera exposée et honorée.
10. Je donnerai aux prêtres le talent de toucher les cœurs les plus endurcis.
11. Les personnes qui propageront cette dévotion auront leur nom écrit dans mon Cœur, où il ne sera jamais effacé.
12. Je te promets, dans l'excès de la miséricorde de mon Cœur, que son amour tout-puissant accordera à tous ceux qui communieront les premiers vendredis du mois, neuf fois de suite, la grâce de la pénitence finale, qu'ils ne mourront point dans ma disgrâce, ni sans recevoir leurs Sacrements, et que mon divin Cœur sera leur asile assuré à cette dernière heure.